Il est peut-être un peu tôt pour enterrer François Bayrou. La sympathie que j’ai pour lui somme toute tend à me faire souhaiter pour lui une seconde vie politique. Mais ce qui est certain, c’est que le centre politique est mort. Il ne pouvait en être autrement : depuis plusieurs décennies, du fait de la mondialisation des flux économiques, ainsi que le prédisaient déjà les économistes classiques comme Ricardo, la classe moyenne européenne se paupérise, au profit de l’émergence de bourgeoisies « exotiques » dans l’ancien Tiers-Monde, et avec elle, disparaissent ses idéaux : l’Europe, le libéralisme politique, l’humanisme parfois un peu gnangnan.
Il ne peut y avoir de centre que dans une économie prospère et une société apaisée. Le centre, c’est une idée des années 70. En période de crise économique, il faut être tranchant, quitte à être caricatural. Si le PS et l’UMP conservent leurs positions, la gauche étant plus que jamais le choix des villes, il est assez clair que la dynamique est à l’extrême-droite, extrême-droite qui se constitue des bastions dans le Sud-Est et le Nord, en zones sinistrées ou pavillonnaires ainsi qu’analysé le mois dernier à l’occasion des présidentielles. A suivre donc.
Cependant, la chute de Bayrou est plus personnelle. Elle doit s’expliquer avant tout par des ressorts psychiques quasi communautaires : s’il a échoué nationalement, c’est qu’il a cru que la France était le Béarn. Et si aujourd’hui localement il s’effondre, c’est qu’il n’a pas su voir que le Béarn était devenu la France.
I - Car la France n’est pas le Béarn ...
François Bayrou est béarnais. Peu de gens en France peuvent se figurer que cela ait une grande importance. Pourtant, c’est primordial. Tout comme on ne comprend pas les hésitations fautives d’un Rajoy dans la gestion de la crise Bankia si on ne sait pas qu’il est galicien. L’analyse politique perd beaucoup à ne plus prendre en compte les tempéraments ethniques.
Le Béarn, c’est le centre. Le Béarn est une création purement politique élaborée au fil des siècles, basée sur une seule chose : la fidélité aux fors. Le Béarn est un pays d’oppositions constantes : dichotomie plaine/montagne, catholiques/protestants, … Mais c’est surtout une civilisation paysanne originale qui a eu à manœuvrer des siècles durant avec une terre souvent ingrate, une civilisation assise sur la maison-souche, le droit d’ainesse intégrale, la peur terrible de la division, foncière, communautaire, politique.
Ces blessures passées, mais peut-être aussi le tempérament propre aux habitants de la région (qu’il faut analyser de manière plus générale alors sous l’angle gascon), expliquent l’émergence d’individualités particulières, qui ont avec succès transporté à la fois la hantise de la division et l’esprit maquignon et cynique de la région dans le champ politique. Certainement pas Henri IV, si cher à Bayrou : c’était un noble français, un Valois par sa mère, dont toute l’éducation a été faite à Paris. Mais Bernadotte, Barthou, Labarrère, oui.
Vus de France, ces individus passent souvent pour des opportunistes. C’est là la caractéristique première des Béarnais en politique : l’incapacité à être d’un clan. Si l’on est béarnais, on parlera d’ouverture d’esprit, de refus de se trouver inféodés, d’hommes libres. Et c’est vrai que les Béarnais sont lestes à la parole, souvent cinglants, mordants. Inconséquents.
Bayrou est de ces gens-là. Il a à peu près tout du Béarnais, jusque dans son suicide politique depuis plus d’une décennie. Ce qui passe pour de la folie à Paris est du courage en Béarn. Ou en tout cas le comportement normal de quelqu’un qui pensera avoir raison contre les autres jusqu’au bout. L’art de l’obstination a quelque chose de beau. Surtout si cela finit mal.
Bayrou aurait donc fait un formidable président du Béarn. Président d’une contrée qui aurait maintenu sa civilisation agraire, qui aurait échappé à la révolution industrielle. Le Béarn de Félicien Prué en somme. Bayrou a d’ailleurs fait un très compétent président du Conseil général : c’est sous son mandat que les grands projets comme l’A64 ont vu le jour.
François Bayrou a, à mon sens, généralisé trop vite la sociologie politique de sa petite patrie à la France toute entière. La France n’est pas la plaine de Nay. C’est un pays traversé par les idéologies, les rivalités, un pays qui s’amuse à singer la guerre civile à chaque élection pour mieux se donner à un chef charismatique, non pas rassembleur, mais qui tranche dans le vif. La France est encore très franque.
La France, ce sont des camps les uns contre les autres. C’est le seul pays avec les Etats-Unis d’Amérique où la fidélité au parti prime sur la fidélité aux idées. Partout ailleurs en Europe, il ne pose aucun problème à ce qu’en fonction de la conjoncture, telle ou telle individualité puisse s’allier à tel ou tel parti. C’est le cas des Lib-Dems au Royaume-Uni, la seule nation où l’on fait vraiment de la politique et non pas de la seule administration. Mais aussi en Espagne de partis régionaux comme le PNV ou CiU. En Allemagne bien évidemment, où jusqu’aux Verts peuvent faire bouger des majorités. Bref, c’est la norme.
La norme en Béarn très certainement aussi, du moins dans les têtes. Mais pas en France. Car la France a connu des siècles d’Ancien-Régime, la Révolution, l’Empire, les Républiques jacobines, le gaullisme, autant de régimes qui n’ont jamais été conçus que dans le seul souci d’une action publique brutale mais efficace. Les Français ne veulent plus de la IVème République, pourtant le plus beau des régimes.
François Bayrou aura donc tenté de ressusciter la IVème République, non pas la république des partis comme on se plait à la caricaturer, mais celle des notables. De province. Rad-socs toulousains, chrétiens-démocrates basco-béarnais, les mêmes. Courants discrédités. Mais Baylet aujourd’hui a eu l’intelligence, du moins pour Paris, de devenir un moignon du PS.
Bayrou a cru que son Béarn pouvait se généraliser à la France, ce qui explique sa perte nationale. Sa défaite locale s’explique par le fait que le Béarn est devenu la France.
II - Car le Béarn est devenu la France ...
La 2ème circonscription des Pyrénées-Atlantiques, c’est plusieurs entités :
- C’est la banlieue pavillonnaire « chic » (qui est hideuse à mon sens mais enfin, de l’avis des gens, c’est tape à l’œil donc chic) de Pau, les communes parmi les plus riches du département (Idron, Buros, …) qui s’étend vers Morlaàs : ce sont les croupes qui dominent les Pyrénées privatisées par des baraques modernes, c’est là que vivent les ingénieurs de chez Total, les militaires à la retraite, les cadres palois. Cela vote plutôt UMP.
Il est assez clair que cette banlieue paloise est sociologiquement « francisée » : elle vote aux législatives sur des thématiques nationales, ce qu’est d’ailleurs ce scrutin à l’origine. Elle ne pardonne pas à Bayrou son vote pour Hollande aux présidentielles. L’ancrage local n’a plus aucun sens, pire il est défavorable : Bayrou est un plouc pour eux. Les résultats sont clairs : l’UMP est en 2ndeposition devant Bayrou.
- C’est la plaine de Nay, vaste contrée agricole, le pays de François Bayrou, de tradition ancienne chrétienne sociale. Mais avec la croissance de Pau, la crise de l’agriculture, l’importance prise par Turboméca, la plaine se transforme en une extension de Pau, un lotissement géant face au Gabizos.
La plaine votait donc traditionnellement centre, démocrate-chrétien. Le PS s’est cependant bien ancré depuis des décennies. Il est clair que François Bayrou est désavoué sur ses terres. C’est dans la plaine de Nay à mon sens que la défaite de Bayrou prend le plus de sens : cette ancienne contrée agricole se tertiarise, elle vit de plus en plus des services et des commuteurs qui vont travailler à Pau. Le symbole de cette modification sociologique et démographique, c’est le McDo de Coarraze.
Bref, l’ancien électorat paysan de François Bayrou est en maison de retraite, vieillit, tandis que les nouvelles générations, petits fonctionnaires, salariés, … votent PS.
- Enfin, le Montanérès, contrée plus rurale, où vivote une paysannerie en crise qui a toujours été conservatrice nationalement mais qui a toujours donné ses voix à Bayrou, et les donne encore. On ne peut pas dire que ce soit la partie de la circonscription la plus dynamique démographiquement …
En somme, pour résumer, il n’y a plus pour François Bayrou de prime au local. Pour une raison simple : les classes dynamiques et plus jeunes de la circonscription possèdent une sociologie politique « française ». On est de droite ou on est de gauche en fonction d’une histoire familiale mais surtout d’un statut socio-économique. Bayrou est jugé à l’aune de son positionnement national. Pour les gens de gauche, une députée PS est aussi valable, les électeurs ont intériorisé le principe gaullien du godillot. Pour ceux de droite, il s’agit de faire payer à Bayrou son vote pour Hollande. Quant au centre, il n’existe plus, car les mutations économiques contemporaines l’ont emporté.
Il reste, dans des villages reculés du plateau de Ger, à Arrien, à Lombia, à Espéchède, dans tous ces villages où je possède des ancêtres, ce que fut autrefois l’ancienne paysannerie béarnaise qui votait Bayrou. Cette même paysannerie qui désolait mes ancêtres par son immobilisme. Il est cocasse que moi, le descendant de ceux qui ont tenté de les acculturer (je suis petit-fils et fils d’instits, de militants socialos, …), je me trouve à me désoler de leur disparition, toute incarnée qu’elle est par l’évanouissement de la Bayrouïe, dernier avatar d’une originalité béarnaise balayée par le sens de l’Histoire. Vae victis.