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La réforme territoriale : pour un véritable débat

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J'ai toujours possédé un intérêt vif pour l'aménagement du territoire et, si je déplore les orientations prises pour l'instant par le débat public qui se résument à un jeu puéril de redécoupage de la carte de France, je ne peux que me féliciter néanmoins que cette thématique soit l'objet dudit débat public. De quelle manière cependant ...


- La méthode :

Je suis électeur de centre-gauche d'avant même que je puisse voter. Tradition familiale (4 générations), convictions politiques, libéralisme politique au sens classique du terme. Parce que j'ai voté Hollande, je peux dire aujourd'hui qu'il est discrédité pour exercer la fonction présidentielle : sur une question aussi prégnante que l'aménagement du territoire, qui réclame une vision de la France à long terme, des convictions profondes, une connaissance de ce pays, on ne peut pas en 2012 promettre le renforcement de l'échelon du département et réinstaurer la clause générale de compétence, pour 2 ans après proclamer la suppression des conseils généraux. Il ne s'agit pas de questions ponctuelles dictées par la conjoncture, auquel cas l'on peut admettre les rétropédalages (par exemple, la taxe à 75%), mais de questions de fond qui nous engagent sur plusieurs décennies puisque articulées à notre modèle de développement. Notre chef de l'État n'a pas d'idées précises en la matière, pas de convictions, c'est très inquiétant.

La posture de François Hollande me semble dictée foncièrement par qui il est, à savoir un pur produit de notre énarchie, qui n'a jamais vu dans la problématique de l'aménagement du territoire qu'une variable d'ajustement entre les dépenses publiques et la compétition électorale. Bref, l'organisation territoriale n'est pour le président qu'un vulgaire jeu de constitution de fiefs, que l'on réaménage au gré de la conjoncture économique, dans un mouvement de va-et-vient entre le pouvoir central et les entités décentralisées.

Pourtant, il n'en est rien : un territoire est toujours le produit d'une histoire et d'une géographie, il porte en lui des synergies entre des villes, des sites, des lieux, il est un tout cohérent fait de voies de communication naturelles qui ont entraîné des sympathies ethnoculturelles qui justifient une volonté de vivre ensemble, de monter des projets communs. Notre élite politique a à l'endroit de l'aménagement du territoire les mêmes réflexes que dans sa conception de l'économie, dans la négation des atouts naturels, de ce qui est, dans l'idée d'une omnipotence de ce qui est décrété, maquillée de keynésianisme mal compris. Bref, notre pays crève de son abstraction idéologique, l'héritage le plus déplorable de la Révolution française, à tout le moins dans sa phase de Terreur.

La méthode est donc nulle. La Suède s'est donnée 30 ans pour consolider sa réforme territoriale mais nous pensons qu'il s'agit de faire comme Napoléon III avec Paris. La méthode est donc nulle mais cela date : les différentes réformes de décentralisation ont été mises en œuvre sans cohérence, sans réflexion poussée sur le bon échelon pour la bonne compétence. Une fois de plus, l'idée a primé sur son application concrète. C'est la France, pays de la masturbation intellectuelle. Nous avons accepté le saupoudrage, la distribution des compétences, l'empilement des collectivités-doublons, ... Certes, le premier ministre fixe l'échéance de la réforme territoriale pour les années 2020, donnant l'impression qu'il faudra négocier dans les années qui viennent. Mais le président, parce qu'il doit montrer qu'il reste le patron, parce qu'il est piégé par la courte durée de son mandat et les impératifs de réélection, a accéléré l'idée de la suppression des conseils généraux.

Bien évidemment, il ne faut pas être dupe : la réforme sera longue, sauf à reprendre le projet Sarkozy dans les cartons (création des conseillers territoriaux), et de le voter en l'état. 2022 semble une échéance raisonnable. Le temps journalistique du scoop ne doit pas être celui d'une réforme conséquente, primordiale, dont il convient d'analyser le fond.


- La suppression des départements ?

Cela ne veut évidemment rien dire. Le département est l'assise de deux institutions. L'une est le préfet, organe déconcentré de l'État central, qui pour simplifier, a à sa charge l'application in concreto dans les limites du département de la politique dont la compétence ressort de l'État (politique migratoire, politique de la sécurité, ...). L'autre est le conseil général, une institution décentralisée dont l'exécutif est issu du vote des élections cantonales. Ses compétences sont en grande partie contraintes par les textes de loi, puisque l'État central a confié à cette collectivité de nombreuses dépenses obligatoires : aide sociale (RSA, ...), éducation (collèges), culture (archives départementales, ...).

Bref, supprimer les départements peut s'entendre différemment. Vous remarquerez que l'État central ne s'interroge jamais sur la nécessité de supprimer le préfet, dont certaines attributions pourraient être confiées au conseil général dans une phase de décentralisation plus poussée, ou à rebours, rapatriées vers les préfets de région (reconcentration). Puisque l'on parle d'économies, il y en a à faire là mais le lobby technocratique préfectoral est fort.

Parmi les compétences du préfet que l'on pourrait abandonner, il y a le contrôle juridique des actes des collectivités a posteriori (en effet, les tribunaux administratifs sont largement armés pour prendre à leur seule charge ce contrôle). Le maintien de l'ordre public pourrait tout à fait être confié à l'exécutif du conseil général via une police départementale, ou encore la gendarmerie. Bref, on peut être original, mais le préfet est un maillon du contrôle étatique en "province" et revenir sur cette institution serait une vraie coupure avec le modèle jacobin républicain.

Donc, on va supprimer les conseils généraux. Pour quelles économies ? C'est vraiment la question fondamentale. Supprimer les conseils généraux et les fonctionnaires qui vont avec, cela règle le problème du nombre de bénéficiaires du RSA ou de l'APA ? On ferme des collèges ? On arrête de payer les retraites des fonctionnaires territoriaux qu'on ne remplacera pas ?

La démagogie intervient alors : supprimer les CG, c'est moins d'élus grassement payés par nos impôts. Puis, dans 20 ans, on se plaindra que les centres de décision sont trop éloignés du citoyen. Bref, la suppression des conseils généraux, de prime abord, n'aura que peu d'influence sur les dépenses contraintes qu'ils prennent en charge (et pour lesquelles ils reçoivent des dotations de l'État et ne peuvent légalement voter un budget en déficit).

Restent les dépenses d'investissement des conseils généraux. Les trucs propres à eux. Le tourisme, la culture, l'aide aux assos, la voirie. C'est grandiose, hein ? Qu'on parle franchement : est-ce dans cela que l'on souhaite couper ? Que ce débat soit honnête et exposé sur la place publique. Que l'on assume alors l'arrêt d'initiatives culturelles départementales ou la fin de l'entretien, voire de l'expansion, du réseau routier ! Car c'est ça un conseil général. On peut redonner tout ça au préfet, pas de problème. On peut cesser ces dépenses, pas de problème. Mais que le problème soit intelligible : je ne suis pas opposé à une suppression des conseils généraux, j'entends seulement que l'on me dise ce qu'il adviendra de leurs compétences.


- Pour une profonde réforme territoriale

Le débat actuel à coup d'effets d'annonce (fusion des régions, suppression des conseils généraux, ...) n'est en fait pas très sérieux. Difficile de savoir ce qui relève de la stratégie politique, de l'annonce journalistique ou de la véritable volonté réformatrice. Quel modèle souhaitons-nous ?

Le projet que l'on voit se dessiner manque de cohérence. Cohérence au regard du début du quinquennat, mais je l'ai déjà dit, la personnalité du président est en cause. Mais avant tout, cohérence en soi pour tout dire. Il est parfaitement antinomique de constituer de grandes régions qui éloignent le centre de décision de l'électeur, tout en supprimant le conseil général, qui du fait de la fusion des régions, pourrait retrouver une vraie légitimité qu'il avait perdue avec la création des régions. A moins que ne soit substituée aux départements une nouvelle collectivité, instaurée sur un bassin de vie, dont la base pourrait être les intercommunalités actuelles.

La suppression du conseil général appellera fatalement la création d'un échelon intermédiaire qui devra compenser la perte de caractère local de la région et qui devra pallier aux insuffisances de la commune, le seul échelon que personne ne semble vouloir toucher alors qu'il est très certainement celui qui a le plus échoué, ne correspondant généralement en rien en une unité de vie cohérente.

J'ai eu l'occasion, par ailleurs, d'expliciter ce qui me semblerait une réforme territorial rationnelle, j'en répète les points principaux :

- Métropolisation des grandes villes françaises dans le cadre de collectivités sui generis détachées des anciens départements, dotées de la pleine capacité de lever l'impôt pour se financer.

- Suppression de l'échelon communal, substitution par de nouvelles communes sur les frontières cantonales. Compétences : urbanisme, voirie, école et collège.

- Suppression des départements, substitution par une nouvelle entité lâche qui rassemble les intercommunalités, si possible sur des frontières historiques représentant des bassins de vie. (Dans un cas qui me préoccupe, constitution d'une collectivité Béarn qui rassemblerait les cantons béarnais, devenues communes.) Il ne s'agirait pas d'une collectivité puissante mais plutôt d'une arène de discussions des cantons, qui élaboreraient des schémas de cohérence territoriale pour mettre en liaison leurs politiques.

- Je n'ai pas d'idée sur le sort de la région. Je suis ouvert au débat. Dans l'idéal, rassemblement des néo-départements sur des critères culturels et géographiques, mais quelles compétences, hors la culture et le tourisme ?

Pour le reste, de nombreuses compétences peuvent revenir à l'État, notamment tout ce qui est dépenses contraintes, dont l'aide sociale (RSA, ...). A contrario, l'État doit pleinement poursuivre sa décentralisation :

- Casser la fonction publique nationale : par exemple, dans l'éducation (jusqu'au lycée : les facs, elles, doivent être indépendantes et être insérées dans le tissu économique local, oui, c'est sale, discuter avec les entreprises), j'appelle pleinement de mes vœux l'instauration d'une véritable fonction publique territoriale avec ancrage territorial, concours territoriaux, voire même cursus éducatifs territoriaux, qui pourraient être définis par les néo-régions justement. De même la police, sur le modèle de ce qui se fait en Espagne avec les Mossos en Catalogne et l'Ertzainza au Pays Basque.

- Suppression des préfectures de département, présence d'un représentant de l'État sur de grandes régions dont le découpage sera à la discrétion de l'État. Il n'y a aucune raison que le découpage de l'État déconcentré et celui des collectivités locales dotées de la personnalité juridique collent.

Toutes ces questions méritent d'être débattues. Il manque bien évidemment à mon tableau la question du financement : les collectivités ainsi définies sont-elles viables ? L'impôt qu'elles récolteront suffira-t-il à les faire vivre ? Les métropoles devront-elles reverser sous forme de dotations des sommes, du fait qu'elles tirent profit de leur environnement naturel immédiat ? Ou inversement, sont-ce les zones non-métropolitaines qui devront financer les métropoles comme c'est le cas en Belgique avec Bruxelles qui est portée par les dotations flamande et wallonne ?

Dans tous les cas, je ne demande qu'à débattre. Je pose les termes d'une discussion que je crois plus intelligente que celle à laquelle nous avons droit. Et si ce débat n'est pas plus intelligent, je le crois au moins plus proche des vraies thématiques qui devraient nous agiter : la réforme territoriale n'est pas un jeu de redécoupage, c'est une vaste question qui implique de discuter de l'impôt, des finances publiques, de qui fait quoi, du rôle de l'élu, de l'organisation de l'État, et in fine, de qui nous sommes. Nous avons besoin de plus de 3 ans, n'en déplaise au président.

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