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Le celte "equa randa" et ses dérivés en Gironde

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Le toponyme "equa randa", toponyme mixte latino-celte "juste limite" (source : Xavier Delamarre), semble avoir été utilisé tardivement sous l'Empire Romain aux fins de délimiter les territoires.

Il est l'un des toponymes les plus fréquents de France, sous des formes très diverses : Aigurande (Indre), La Délivrande (Calvados), Eygurande (Corrèze), ...


Comme souvent, historiens et linguistes s'ignorent de telle sorte que cette donnée leur échappe. Pourtant, elle est primordiale pour affiner la délimitation des anciennes cités gallo-romaines qui deviendront par la suite les évêchés, avec bien évidemment des ajustements marginaux.

Le département moderne de la Gironde est très intéressant par l'abondance des dérivés sur "equa randa". Je crois être le premier à avoir entrepris une recherche systématique de ces toponymes dans le département, qui dessinent les anciennes divisions entre Buch, Bordelais et Bazadais qu'il importe d'avoir en tête.

La difficulté tenait de ce que le toponyme "equa randa" a pris des formes totalement aberrantes, pour la plupart difficilement explicables par les caractéristiques des parlers romans locaux, ce qui signifie que le toponyme avait été déformé dans les bouches de l'administration latine, subrepticement celtophone.


I - Quelques types tirés de "equo randa"


1. Type "Guirande"

C'est le type le plus attendu en phonétique romane méridionale, avec mécoupure : Eyguirande* > La Guirande.

On le trouve en Pays Gabay, pays de langue saintongeaise mais anciennement d'oc : La Guirande à Mirambeau en Saintonge, Guirande à Marcillac en Vitrezais, La Guirande à Lagorce dans la Double.

A chaque fois, ces toponymes sont à quelques encablures d'une ancienne frontière : les deux premiers matérialisent l'ancienne frontière entre Bituriges et Santons, puis entre Bordelais et Saintonge, autour de Pleine Selve (l'ancienne Plana Sylva, autrement dit la forêt à perte de vue). La Guirande à Lagorce est encore aujourd'hui à la frontière entre Charente-Maritime et Gironde.

On trouve en Périgord le village d'Eygurande qui a conservé la forme pleine.


2. Type "Gironde"

C'est évidemment le plus intéressant : il est tout à fait curieux que les toponymistes aient eu tant de mal à identifier ce vocable !

Il est une variante du type précédent avec l'alternance à l'initiale gui/gi, hésitation que l'on retrouve par exemple dans le prénom médiéval Girons, qui est aussi Guirons. C'est là un trait de phonétisme roman qu'il conviendrait d'étudier plus amplement.

En tout état de cause, il est évident que Girande au Temple matérialise l'ancienne frontière entre le Bordelais proprement dit et la cité des Boiates autour du Bassin d'Arcachon, qui deviendra le pays de Buch.

Par mutation vocalique étrange, mais constante partout en France, Girande est devenu ... Gironde. Voici donc l'étymologie du nom de l'estuaire : c'est une déformation poussée, assez hétérodoxe mais indéniable du celte equa randa, qui matérialise tout simplement une frontière, ce que l'estuaire est, entre Bordelais et Saintonge.

L'existence du village de Gironde, sur la Garonne, entre Saint-Macaire et La Réole confirme cette analyse : en effet, le village de Gironde se situe à la frontière entre Bordelais et Bazadais, autrement dit entre Bituriges et Vasates de l'époque romaine (il faut bien se figurer que le Bazadais s'étendait entre la Garonne et la Dordogne, j'ai tenté dans ma carte de le montrer en légende, en bas à gauche).


3. Type "Hirande"

C'est une forme que l'on retrouve en France, très déformée. Elle a souvent été mal comprise et suffixée en ... Hirondelle. On peut supposer un fait d'articulation phonétique celte pour une telle mutation, improbable en français.

On trouve des lieux-dits "L'Hirondelle", comme par hasard, en des lieux de frontière là encore : en Blayais, sur la Dordogne en Périgord et en Agenais, à la frontière avec l'ancien Bazadais.


II - Premières conclusions


La carte que dessinent ces toponymes tirés de "equa randa" est cohérente avec ce que l'on sait de l'ancienne administration diocésaine, héritière probable des cités romaines.

La frontière entre Buch et Bordelais est assez nette via les toponymes Girande et Girondes, auxquels il faut ajouter le très connu Croix d'Hins (du gascon hins "limite", du latin finis).

Il en va de même en Entre-deux-Mers entre Bordelais et Bazadais : au Sud, le village de Gironde sur la Garonne, au Nord, la rivière de l'Engranne, qui était justement la frontière ancienne entre les deux entités.

Le Bazadais est lui-même délimité par une série de toponymes sur la rive périgourdine de la Dordogne (c'est la frontière avec les Pétrocores, qui donneront l'ancien évêché de Périgueux, ultérieurement scindé en deux avec l'émergence de l'évêché de Sarlat).

Enfin, en Nord Gironde contemporain, la batterie de toponymes de frontières est assez serrée et délimite une frontière entre Bordelais, Saintonge et Périgord, dans ce qui était et est encore par endroits, une grande forêt qui ne sera défrichée que tardivement (d'où l'abondance d'hagiotoponymes qui marquent le caractère médiéval), et ce qui explique d'ailleurs probablement l'afflux de populations saintongeaises dans ce no man's land de frontière (d'où l'émergence du Pays Gabay).

En tout état de cause, cette étude, très rapide, n'est qu'une première ébauche d'une recherche plus minutieuse à mener. On peut s'étonner par exemple de l'absence de toponymes de ce type pour marquer la frontière entre Bazadais et Bordelais, dans la lande et la vallée du Ciron.

Cette étude se doit d'être poussée à l'ensemble des départements du Sud-Ouest (elle l'a déjà été ailleurs en France, en pointe sur les études celtiques) : l'abondance des toponymes Guirande, Gironde, Hironde, ... est un indice sur l'importance de ces lieux-dits à une époque ancienne.

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