Vous êtes partis à Paris manifester ou vous faites grève. Dans tous les cas, vous êtes inquiets. Il n’y a pas de sentiment plus légitime, et d’ailleurs, vos inquiétudes je les comprends. Car elles sont les miennes. Néanmoins, vous vous trompez de cible.
Que dit la loi Macron ?
Elle dit avant tout beaucoup sur un gouvernement aux abois. Nettement, il s’agit de sauver le quinquennat du président, sous la férule de Bercy, en faisant passer des lois qui auraient nécessité deux années de négociations. Mais il n’y a là rien de nouveau : en tout autre domaine, la même précipitation, la même majorité chancelante qui voit les échéances électorales de 2017 approcher.
Sur le fond, la loi Macron ne dit pas grand-chose. D’abord, il est difficile de savoir dans quelle mesure le Parlement la modifiera. Ensuite, il faut bien concéder que parmi les professions libérales, la profession d’avocat est celle qui subit le moins de retouches : si une révolution se prépare chez les huissiers ou les notaires (est-elle illégitime ?), les modifications apportées à la profession d’avocat sont minimes.
- La suppression de la postulation territoriale est nécessaire. Elle ne correspond absolument plus à aucune pratique véritable de la profession, elle est au demeurant inexistante devant nombre de juridictions, elle est une dépense supplémentaire pour nos clients qui ne la comprennent pas, elle constitue une rente, hors tout prix de marché, pour quelques cabinets.
La suppression de la postulation est un premier pas, timide pour dire la vérité, vers une dématérialisation plus poussée des actes de procédure, au-delà du RPVA, système poussif et mal pensé. Il n’y a pas à craindre de déserts judiciaires, bien au contraire : la dématérialisation généralisée nous permettra de nous installer là où nous le souhaitons, à tout le moins en fonction de notre pratique (il va de soi qu’un pénaliste reste condamné à vivre au plus proche du Palais).
- L’avocat d’entreprise pose des questions. Il n’est pas certain que les entreprises soient en demande d’un tel statut. Il n’est pas certain non plus que tous les gages de l’indépendance soient respectés. Mais à la vérité, là n’est pas la question.
Deux pistes d’action s’offraient au gouvernement : recentrer la profession d’avocat sur son cœur de métier, le contentieux, et donc revenir sur 3 décennies d’évolutions législatives. Ou bien aller vers une grande profession du droit. C’est clairement ce choix qui est fait, partant d’un constat que pour ma part je partage : il n’y a plus aucune spécificité à la profession d’avocat.
Que s’est-il passé ?
Une évolution inéluctable de la société : l’ancien monde bourgeois de la notabilité libérale sur lequel s’appuyaient les avocats est mort. La profession a du mal à l’acter et peut-être que le constat, assez terrible, qu’elle ne pèse plus, même au sein des parlementaires, l’aidera à le faire. La IIIème République est morte depuis des décennies.
La révolution des communications, la disponibilité instantanée de l’information, la judiciarisation des rapports humains, tout ceci a profondément bouleversé la profession d’avocat. Le temps où les clients avaient un avocat, tel un médecin de campagne, est largement révolu. L’avocat n’est pas l’artisan des pancartes naïves des jeunes confrères.
Les jeunes avocats dont nous sommes se doivent d’accepter les évolutions de la société que nos ainés appréhendent difficilement : nous devons nous débarrasser d’une déontologie qui nous empêche d’être ce que nous sommes foncièrement, des entrepreneurs, des commerçants.
Nous devons investir Internet que nous laissons à quelques geeks du droit qui nous prennent, en toute intelligence, des parts de marché. Nous devons nous aérer, loin des quelques rues autour du Palais, partir revitaliser des petites villes via des cabinets secondaires, la France rurbaine déphasée. Nous devons couper avec une ancienne pratique désuète, avec la discipline ordinale, avec l’opacité des honoraires, avec ce que nous croyons être une bienséance mais qui n’est perçue par le public que comme les oripeaux d’une profession arrogante.
Des responsables ?
Le gouvernement n’est responsable que de la façon dont il traite le dossier, dans la violence. Mais le vrai responsable, c’est la profession elle-même.
Depuis plus d’une décennie, la profession envoie sur le marché de l’emploi de jeunes avocats toujours plus nombreux, sans tenir compte de la réalité du tissu économique et de la capacité d’absorption de ces jeunes par les barreaux.
Depuis plus d’une décennie, la profession, loin d’être le chantre d’un vrai libéralisme, qui nécessite dès lors des règles, des contingents, des limites, a favorisé la sauvagerie économique la plus totale en se massifiant démesurément, avec cynisme, laissant aux jeunes le soin de se partager le gâteau d’une aide juridictionnelle décrépie.
Depuis plus d’une décennie, des cabinets d’avocats, bien installés, prospères, utilisent avec intelligence l’extraordinaire et exubérante flexibilité du contrat de collaboration pour se ménager une main-d’œuvre à vil coût qui accepte sa condition dans l’espoir un jour d’être de ceux qui exploitent.
Calcul fou et irrationnel : le monde que nos ainés nous lègueront n’est pas celui qui leur a permis une ascension fulgurante et une vie bien remplie, faite de succès. Le monde qu’ils nous lèguent est incertain, beaucoup d’entre nous resterons sur la touche et ne prendrons jamais leur envol.
Exigeons que la réalité de notre pratique quotidienne soit aussi notre réalité juridique. Avocats collaborateurs dans des gros cabinets, exigez le vrai libéralisme. A défaut, le salariat et ses avantages. On vous le refuse ? Les entreprises vous font du pied.
La profession d’avocat paye son hypocrisie : jeunes avocats, on vous fait manifester pour sauver les avantages d’une minorité qui ne sera pas là dans 20 ou 30 ans pour constater les dégâts. Ce n’est pas votre combat, notre combat.
Nous n’avons rien à craindre des mutations qui s’annoncent. On nous dit d’investir l’entreprise ? Allons-y ! On nous dit de voir au-delà de notre barreau ? Excellente idée. Soyons originaux, modernes, cherchons de nouvelles formes d’exercice, acceptons la variété de nos pratiques, cessons de vivre dans un roman du XIXème siècle.
Nous n’avons à craindre qu’une seule chose : le conservatisme.