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Channel: Béarniaiseries et occitâneries
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Charlie-Hebdo et moi

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Toute la matinée d’hier, dès les premières dépêches annonçant une fusillade, j’ai jeté un œil inquiet sur le fil d’actu. Cela peut paraître foncièrement malvenu et hors de propos, mais la vérité était celle-ci me concernant : pourvu que Cabu n’en soit pas. Pas Cabu.

J’ai lu Charlie Hebdo. Un vrai lecteur assidu. A partir du lycée, peut-être un peu avant. Je suis en tout cas passé directement de Dorothée Magazine et Pif Gadget à Charlie Hebdo. Il était pour moi le complément trash du Canard Enchaîné, l’institution hebdomadaire que je lisais chez mon grand-père maternel, depuis au moins l’âge de 10 ans. Le fil rouge : Cabu.

C’est que j’ai grandi au milieu des BDs de mon père : les dessins de Charlie Hebdo étaient la continuation naturelle de mon environnement familial, la bande dessinée et la politique. Parce que fils d’un enfant des heureuses années 60, de Pilote. Et parce que fils d’un instit.

Exilé à Bordeaux à Sciences-Po, je conservais mes habitudes, je prenais chaque semaine au Leclerc de Pessac avec le Canard et Paris Match un exemplaire de Charlie Hebdo. Le plus doué, c’était Bernar. Je ne sais plus trop quand j’ai cessé cependant. 2007-2008 probablement, en tout cas, quand j’ai su définitivement où me situer. Non, je ne suis pas libertaire.

Je n’ai donc plus acheté que le Canard. Et Paris Match évidemment, il me faut m’informer sur les Grimaldi. Via le Canard, je bénéficiais néanmoins toujours du trait de Cabu. Quel génie. Moins pour son nouveau beauf d’ailleurs, parfois brouillon, que pour le croquis féroce de la vie politique. La précision géniale pour capter un visage, et notamment les femmes. Il était le meilleur.

Le Cabu du Canard, factuel et précis, m’épargnait ce pour quoi j’avais quitté Charlie : une mièvrerie désespérante. Car derrière la forme trash et la provocation, le sexe et le gore, je ne voyais plus dans l’hebdo de Val puis de Charb que les vieilles lunes des décennies passées, le combat adolescent d’une génération qui n’était pas la mienne, la recherche d’un esprit républicain fantasmé et pur.

Des soixante-huitards attardés pour faire court. Que l'on m'excuse la terminologie, mais l'auraient-ils eux-mêmes reniée ? Le Grand Duduche ! Oui, ils étaient des types brillants et attachants mais ils ne comprenaient pas que le monde changeait. Ils étaient des individualités fines et drôles mais dont les schèmes d’interprétation étaient restés figés dans les idéaux de jeunesse. Le keynésianisme providentiel de Bernard Maris, le jacobinisme évangélisateur de Philippe Val, la générosité anti-con de François Cavanna. Tout cela était beau mais ne me disait rien de mon siècle à moi.

L’égalité, valeur suprême, tous à la même enseigne, Pierre Bourdieu pour les nuls, le bien et le mal, les saints modernes contre les pourris, le fric qui corrompt. Grow up. C’est ce que je me disais en pensant à Charlie quand je lisais chaque semaine le Canard, sérieux et respectable.

L’égalité, c’est aussi en son nom que Charlie a commencé à la fin des années 2000 à brocarder – enfin – tout le spectre des extrémismes, jusque-là réduit assez injustement aux seuls cathos un peu latinisants de quelques paroisses. Mais là encore, moins la religion, seules ses manifestations marginales et violentes étaient brocardées. La pureté originelle des hommes de foi face à ceux qui la dévoient.

J’ai donc regardé pendant des années avec un relatif mépris les unes de Charlie dans les kiosques, à côté de mon Canard. Tiens, encore un dessin de Charb qui dit que Mahomet ne serait pas content de voir ce qu’on dit en son nom. Il n’a pas omis de mentionner que Benoît XVI est un connard. Soit, clap clap, c’est bien, tu auras une bonne note au bac en éducation civique.

Pour le reste, je n’en sais rien, je n’ouvre plus Charlie. A l’intérieur, je suppose que Bernard Maris doit toujours expliquer qu’il suffit de distribuer de l’argent aux consommateurs pour faire repartir la machine et Patrick Pelloux de décrire dans sa colonne qu’on manque de fric dans les services d’urgence. Où est la pétition que je la signe ? Je connais par cœur, j'ai lu tout ça pendant des années. Il n’y a plus Siné en revanche, ça je le sais.

Un relatif mépris de ma part donc, mais de la candeur aussi. Après tout, nous sommes tous marqués par les idéaux de notre jeunesse. Et ma génération en a manqué, quand elle n’a pas essayé de singer celle qui l’a précédée. Ils bouffent toujours du curé, de toute obédience, ils croient encore en la République virginale de Desmoulins. Si je leur donne tort, je les sais nécessaires. 

Ce sont donc bien des hommes candides qui ont été assassinés par d’autres qui ne l’étaient pas. Les années 2010, soucieuses, idéologisées, interconnectées ont enterré les années 60, insouciantes, idéalistes, déconnectées. La quête du Paradis contre les paradis artificiels. La kalach des résistants à l’oppression, celle des guerrilas dans la jungle d'Amérique du Sud, a changé de camp. Et Cabu, l’adolescent éternel, celui qui m’a fait découvrir Trenet et aimer Paris, est mort. Je ne suis pas Charlie mais je suis triste.

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